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Villages et hameaux en Gaule et dans les espaces voisins entre la période laténienne et la fin de la période romaine (IIIe s. av. J.-C. -VIe s. ap. J.-C.)

Les récents travaux montrent la grande diversité des types d’habitats qui occupent les campagnes de la Gaule romaine (Reddé 2017, 2018). Ces établissements semblent dans la grande majorité correspondre à des habitats dits « isolés ». De la villa à la petite ferme, ils sont donc perçus comme des modèles d’établissements ubiquistes. Les agglomérations, quelles que soient leur taille et le nombre de maisons ou unités fonctionnelles agrégées, n’apparaissaient dans la bibliographie que rarement dans le dispositif traditionnel de l’habitat rural. Toutefois, les habitats groupés font partie intégrante du tissu d’habitat rural car ils jouent de nombreux rôles dans le fonctionnement des territoires. On pense dans ce cas tout d’abord aux agglomérations au statut commercial ou artisanal marqué (villes, bourgades, etc.) qui, pour certaines, peuvent polariser et dynamiser le réseau d’établissements périphériques. Néanmoins, il existe aussi des agglomérations[1] d’un autre statut qui n’entrent pas la précédente catégorie : les villages et hameaux paysans.

L’existence de ce type d’habitat à la période romaine est évoquée au moins depuis le XIXe s. Au début des années 1980, Ph. Leveau souligne son existence et rompt les idées reçues selon laquelle Rome aurait voulu élever toutes les agglomérations au rang de ville et selon laquelle le village gaulois ne pouvait pas trouver de continuité à la période romaine (Leveau 1983). Toujours dans les années 1980, les travaux de F. Pétry sur le relief vosgien entre Saverne et Sarrebourg, montraient l’existence de ces habitats agglomérés qui n’entraient pas dans les cases des typologies conventionnelles (Pétry 1982). Un peu plus tard, au début des années 1990, Michel Mangin, dans la conclusion du colloque de Bliesbruck-Reinheim/Bitche sur les agglomérations dites « secondaires », émettait le souhait « que les spécialistes de la campagne intègrent les “villages de paysans” à leur problématique » (Petit, Mangin 1994, 294). Dans les années 2010, le débat sur l’existence de villages à fonction agropastorale dans les campagnes de la Gaule romaine ressurgit (Favory 2012 ; Monteil 2014). En dehors des frontières françaises, en Grande-Bretagne (Smith et al. 2016) ou aux Pays-Bas par exemple (Roymans, Derks 2011), l’existence de villages et de hameaux est reconnue et acceptée car plusieurs d’entre eux sont documentés et publiés.

Un récent réexamen de la question a proposé de définir un village ou un hameau à la période romaine comme un habitat groupé, composé de fermes proches les unes des autres ou dispersées sur un espace restreint, qui est tourné quasi exclusivement vers des activités agropastorales, sans pour autant exclure d’autres activités plus ponctuelles (Nüsslein et al. 2018). Il se distingue, de ce fait, des autres habitats groupés, que sont les agglomérations routières, artisanales, à fonction extractive, ou encore aux caractères urbains, grandes et petites qui, elles, disposent de fonctions commerciales, politiques ou cultuelles affirmées.

Si l’existence des villages et hameaux ne fait pas de doute, ils restent encore mal connus en Gaule. Plusieurs exemples sont attestés mais sont encore discrets dans la littérature. Les raisons pour lesquelles les archéologues et historiens ont été jusqu'ici peu confrontés à cette catégorie d’habitat pose évidemment question : le village est-il un phénomène très marginal ? S’agit-il d’un type d’habitat qui se développe uniquement dans des régions précises ? Son apparente rareté n’est-elle pas plutôt liée à un état de la recherche ? À la difficulté d'attester le caractère groupé des habitats en raison de la taille des fenêtres de fouille ? Au caractère ténu des vestiges de ces sites ? Ou encore au fait que les archéologues n’ont pas encore exploré cette piste pour tenter d’interpréter certains sites qui ne présentent pas la morphologie d’un « habitat isolé » ? La question de leur identification et de leur caractérisation archéologique pose évidemment problème. La récente étude des villages et hameaux en plaine d’Alsace a par exemple montré que ce type d’habitat peut être difficile à reconnaître en raison de la nature ténue des vestiges et de la taille des fenêtres de fouille (Nüsslein et al. 2020).

Le premier objectif de ce colloque sera donc de définir les critères permettant de reconnaitre ce type d’habitat. La présence d’habitats groupés paysans dans tous les territoires ne va pas forcément de soi et il est primordial, avant d’aborder d’autres problématiques, de résoudre la question de leur identification et de leur caractérisation archéologique, d’asseoir l'interprétation des sites découverts et, peut-être, de réviser des sites fouillés plus anciennement. Au cours du colloque, il conviendra donc de confronter les exemples et les différents cas de figure afin de tenter de poser un cadre, de définir des critères et indicateurs qui permettent d’identifier un site comme un village/hameau. Quels sont les types de vestiges qui permettent de les reconnaître ? Sous quelles conditions ? Avec quelles méthodes ? Aussi, on pourra se demander dans quelle mesure ce type de site est reconnaissable en prospection pédestre et aérienne ou avec une autre méthode d’investigation non invasive. On s’interrogera aussi sur ces aspects : quelle est la forme générale des habitats ? Comment s’organisent-ils ? Quels sont leurs équipements ? Existe-t-il des formes semblables ou uniquement des types régionaux ? Les présentations réalisées lors du colloque permettront d’avoir un panorama des morphologies et de l’organisation interne que peuvent adopter les villages et les hameaux. Si nous invitons en premier lieu les communicants à présenter des sites de la Gaule et d’espaces voisins (Germanie, Bretagne, Hispanie, Italie, etc.), le colloque est aussi ouvert, pour des comparaisons, à des présentations concernant des établissements situés au sein de contrées plus éloignées (Afrique du nord ou Proche-Orient, par exemple).

Toujours dans le cadre de leur caractérisation et si les villages et hameaux sont principalement tournés vers des activités agropastorales, la nature des productions et leur organisation sont encore peu connues : sont-elles semblables ou différentes des habitats isolés dans une même région ? Existe-t-il des équipements agro-pastoraux particuliers ? Au sein d’un même site, existe-t-il des différences d’activités ou une complémentarité entre les fermes ? Les communications pourront donc aborder la question des équipements agro-pastoraux, de l’outillage ou encore des données bioarchéologiques.

Le deuxième objectif de ce colloque sera de recenser les habitats groupés paysans et de les cartographier afin d’identifier les secteurs dans lesquels ils se développent et de mesurer la diffusion de ce modèle d’habitat. Au sein des régions dans lesquels des hameaux et villages se développent, il sera aussi intéressant d'essayer de saisir leur rôle dans le peuplement et le système productif agro-pastoral : quelle est leur relation avec les autres habitats ? Existe-t-il des espaces où l'agriculture s'appuie uniquement sur des habitats agglomérés ? Jouent-ils un rôle majeur dans la conquête ou le développement d’espaces au cours de la période romaine ? Les communicants prendront donc le soin de contextualiser le ou les sites qu’ils présenteront afin de bien comprendre le milieu spatial (d’un point de vue géographique et du peuplement) du ou des établissements en question. Si des présentations sur plusieurs sites sont recommandées, une communication traitant d’un site en particulier est possible. Le ou les auteurs veilleront dans ce cas à comparer le site en question avec le contexte régional. L’enjeu est aussi d’essayer d’en savoir plus sur la structure sociale et agraire des campagnes dans lesquelles ces habitats s’intègrent.

Les aspects spatiaux et environnementaux sont aussi déterminants pour essayer de comprendre l’émergence des villages et hameaux dans certains secteurs. Existe-t-il un déterminisme environnemental lié à la qualité des sols par exemple ? Existe-t-il des traits culturels particuliers qui expliqueraient la présence de ce type d’habitat dans certaines régions ? La mise en place de villages et hameaux pourrait-elle résulter de la volonté d’un pouvoir ou d’une structure foncière particulière ?

Ces questions rejoignent le troisième objectif du colloque qui est consacré à la problématique de l’origine et de l’évolution du village et du hameau. D’une région à l’autre, voire au sein d’un même secteur, la dynamique d’évolution et d’apparition des villages et hameaux peut être différente. Ces formes d’habitat sont-elles directement héritées de la période laténienne ? Quelles sont les différences entre une « agglomération ouverte » ou un village de la période laténienne et un village ou hameau de l’époque romaine ? Sont-ils le résultat d’une agrégation progressive de fermes, opportuniste et choisie, ou d’un plan établi au préalable ? Existent-elles durant toute la période romaine ? Existe-t-il des différences d’apparition et de dynamique entre les régions ? Leur émergence dans certaines régions est-elle seulement liée à la dynamique qui entraîne généralement l’apparition d’établissements groupés à la fin de l’Antiquité ? Que deviennent les villages et hameaux antiques après la période romaine ? Si la période romaine est au centre du sujet, la chronologie choisie, du IIIe s. av. J.-C. au VIe s. ap. J.-C. est vaste afin de bien comprendre les phénomènes d’apparition, d’évolution et d’abandon de ce type d’habitat, avant, pendant et après la période romaine. Précisons néanmoins que l’objectif du colloque n’est pas de se concentrer sur la question de l’émergence du village au Moyen Âge.

In fine, ce colloque a pour but de poser les premiers jalons de l’étude des villages et hameaux en Gaule. De nombreuses questions se posent sur ce type d’habitat qui doit entrer en considération dans l’approche du paysage rural antique. Il s’agit aussi de compléter le panorama diversifié des formes d’habitat et de comprendre davantage la diversité des systèmes de peuplement et de production.

Bibliographie

Brunet, R., Ferras R. et Théry H. 1992 : Les mots de la géographie. Dictionnaire critique. Montpellier-Paris, La Documentation Française, 518 p.

Favory F. 2012 : La dure condition des agglomérations secondaires, Les Nouvelles de l’Archéologie, 127, p. 40-44.

Leveau Ph. 1983 : La ville antique et l'organisation de l'espace rural : villa, ville, village, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 38ᵉ année, n° 4, p. 920-942.

Meyer N., Nüsslein A. 2014 : Une partie de la campagne gallo-romaine du Haut- Empire des cités des Médiomatriques et des Triboques préservée par la forêt : les habitats et parcellaires des Vosges du Nord (Moselle et Bas-Rhin) de part et d’autre du seuil de Saverne, in Dossiers du programme européen “Rural Landscape in northeastern Roman Gaul”, 2 [en ligne : halshs.archives-ouvertes.fr/RURLAND/hal-01007619v1, mis en ligne le 16/06/2014].

Monteil M. 2014 : La question des « villages » en Gaule romaine : entre débat sur les mots et données archéologiques, Archéopages, 40, p. 50-55.

Nüsslein A., Bernigaud N., Reddé M. 2018 : Les établissements ruraux du Haut-Empire, in Reddé M. (dir.) 2018, p. 133-233.

Nüsslein A., Flotté P., Higelin M., Roth-Zehner M. 2020 : Hameaux et villages paysans de la période romaine en plaine d’Alsace, Gallia, 77-2 | 2020, p. 97-121.

Petit J.-P., Mangin M. (dir.) 1994 : Les agglomérations secondaires La Gaule Belgique, les Germanies et l’Occident romain, Actes du colloque de Bliesbruck-Reinheim/Bitche, octobre 1992, Paris, Errance, 294 p.

Pétry F. 1982 : Vici, villas et villages : relations triangulaires à la limite des territoires médiomatrique et triboque, Caesarodunum, n°XVII, 1982, 211-227.

Reddé M. (dir.) 2017 : Gallia rustica I. Les campagnes du nord-est de la Gaule, de la fin de l’Âge du fer à l’Antiquité tardive, Bordeaux, Ausonius (coll. Mémoires, 49), 867 p.

Reddé M. (dir.) 2018 : Gallia rustica II. Les campagnes du Nord-est de la Gaule, de la fin de l’Âge du fer à l’Antiquité tardive, Bordeaux, Ausonius (coll. Mémoires, 50), 717 p.

Roymans N., Derks T. (dir.) 2011 Villa Landscape in the Roman North. Economy, culture and lifestyles, Amsterdam,Amsterdam University Press, 332 p.

Smith A., Allen M., T. Brindle T., Fulford M. 2016 New vision of the countryside of Roman Britain. Volume 1, The rural settlement of Roman Britain, Londres, Society for the Promotion of the Roman Studies, 469 p.



[1]Rappelons que le mot « agglomération », en géographie, désigne une réunion d’habitations que distingue leur qualité urbaine ou rurale (Brunet et al. 1992 : 20-21).

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